Il y a quelque chose de pourri au royaume des éoliennes
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Il y a quelque chose de pourri au royaume des éoliennes
Irène Inchauspé
24 Janvier 2019 à 17h45
Alors que la publication du projet de Programmation pluriannuelle de l’énergie est imminente, les « anti-éolien » sont en colère et les « pro » sont très inquiets. Ces sentiments contrastés secouent fortement la filière qui doit en principe atteindre des objectifs ambitieux en matière de mix énergétique d’ici à 2028
Le président du conseil régional des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, ne veut plus d’éoliennes dans sa région.
© Sipa Press
Deux décrets publiés en fin d’année dernière suscitent de violentes critiques de ceux qui veulent limiter le développement des parcs d’éoliennes en France : Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France, parle de mépris de démocratie. Alors que l’Etat refuse jusqu’ici de réorganiser la filière.
« C’est l’overdose, je crains maintenant des oppositions physiques et je ne le veux pas. Je suis le porte-parole de gens que l’on méprise, dont l’avis ne compte pas et qui ont l’impression de passer sous un rouleau compresseur, fulmine Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France. Dans la région ce n’est pas l’open bar pour les éoliennes ». Il vient de découvrir un décret paru le 29 décembre, qui stipule qu’à « titre expérimental », dans les Hauts-de-France et en Bretagne, les enquêtes publiques en matière environnementale vont être remplacées par une participation du public par voie électronique.
« Il n’y a eu aucune concertation sur ce décret, explique-t-il. Les éoliennes sont installées dans des milieux ruraux qui ne sont pas les mieux servis en matière d’Internet. Ce décret, c’est un mépris de démocratie ». Au conseil régional de Bretagne, le cabinet du président n’a pas encore expertisé le décret… Avant de le promulguer le 29 décembre, le ministère de l’environnement a organisé une consultation publique sur son site. Selon le Canard Enchaîné, 2 971 avis ont été postés, dont 3 seulement favorables au texte ! Chiffres non contestés par le ministère. En cette période où l’on vante les vertus du débat et de la consultation du peuple, c’est un peu raide.
Avec 1 500 mâts sortis de terre, 800 autorisés mais pas encore construits, et 767 en cours d’instruction, les Hauts-de-France sont la région la mieux pourvue en éoliennes. « Un titre de champion dont je me passerais bien », regrette le président du conseil régional. Il n’est pas le seul à protester. En France, 70 % des projets d’implantation sont contestés devant les tribunaux. Est-ce pour limiter cette frénésie qu’un autre décret a été publié le 28 novembre 2018 ? « Les associations n’ont plus le droit d’aller devant les tribunaux administratifs, elles doivent s’adresser directement à la cour d’appel. Ce qui veut dire qu’elles ne peuvent plus se passer d’un avocat, alors que certaines n’ont pas les moyens de s’en payer un, explique Jean-Louis Butré, président de la Fédération Environnement Durable, qui regroupe 1 340 associations anti-éoliennes.
Lui aussi estime que l’acceptabilité sociale des éoliennes est désormais nulle. « Les gens sont en colère, si les politiques ne cherchent pas à diminuer la pression, ce ne sont pas des Gilets jaunes qu’ils vont avoir mais des violences beaucoup plus importantes », prévient-il. La tension ne risque pas de baisser puisque dans sa feuille de route énergétique (PPE), la France s’est fixée comme objectif de tripler les capacités d’éoliennes terrestres d’ici à 2028, pour passer des 15 GW actuels à 35 GW. « Je ne suis pas un dinosaure, réagit Xavier Bertrand. Je sais qu’il n’y a pas de retour en arrière possible sur les énergies renouvelables (ENR), mais il n’y a pas que l’éolien ! La région a déjà mis 14 millions d’euros pour développer la méthanisation et les panneaux solaires ».
Appropriation. Pour limiter les conflits, certains promoteurs se font conseiller. « Nous en accompagnons une dizaine par an, explique Céline Sanchez, senior manager chez Mazars Alter&Go. Je n’aime pas le terme d’acceptabilité sociale, je préfère parler d’appropriation de projet ». L’« accompagnement » dure entre 12 et 18 mois. « La première étape, c’est l’étude de l’humain, nous voulons savoir quelles sont les perceptions des gens. Ensuite, il faut permettre à ceux qui n’ont pas d’avis de s’en forger un. Enfin, le jour où on a réussi, c’est quand on s’en va, après que le projet a été co-construit ». Une démarche salutaire qui n’empêche pas beaucoup d’anti-éoliens d’être au bord de la crise de nerfs.
Curieusement, les « pro-éoliennes », sont aussi très inquiets. Le Conseil d’Etat a abrogé en décembre 2017 un décret qui donnait aux préfets régionaux la responsabilité d’accorder les permis environnementaux nécessaires à la construction de parcs d’éoliennes. « Résultat, plus personne ne décide, regrette l’avocat Arnaud Gossement. L’Etat aurait dû immédiatement publier un nouveau décret pour réorganiser la filière. Or, il ne s’est rien passé depuis fin 2017 ». Résultat de ce « vide juridique », le nombre de projets d’éoliennes autorisées a chuté de 22 % entre 2017 et 2018. « La filière éolienne est actuellement sinistrée, juge Arnaud Gossement. La France prend de grands engagements à Bruxelles, mais ensuite, elle fait tout à fait autre chose. En Allemagne, les dispositifs sont plus simples, il n’a pas eu de yo-yo dans la politique suivie et il existe un engouement de la classe politique ».
L’avocat regrette de voir des jeunes sortis d’écoles d’ingénieur, ayant renoncé à des carrières dans des grands groupes. « Certains se sont lancés dans le secteur il y a 7 ans, en sortant de leur école, et ils n’ont encore rien vu », explique-t-il. C’est le délai moyen pour qu’un projet de construction d’éoliennes voit le jour, après que tous les recours ont été épuisés.
Ornière. L’inaction de l’Etat pour sortir la filière éolienne de l’ornière fait craindre que celui-ci ait une petite préférence pour… le nucléaire. Emmanuel Macron a annoncé le développement des énergies renouvelables et le maintien à 50 % du nucléaire dans le mix énergétique de la France. Xavier Bertrand, qui veut développer en même temps le solaire et la méthanisation et souhaite remplacer la centrale de Gravelines par un nouvel EPR, est dans le même esprit. « Je ne joue pas le nucléaire contre les énergies renouvelables, mais quand Gravelines sera fermée, je préfère qu’il y ait une centrale nouvelle génération plutôt que rien ».
Ceux qui ne vouent pas le nucléaire aux gémonies ont reçu un appui de poids en la personne de Bill Gates, le fondateur de Microsoft. Engagé dans la lutte contre le réchauffement climatique, et président de Breakthrough Energy Ventures, un fonds qui investit dans les énergies propres, il a dit son intérêt pour le nucléaire dans sa lettre annuelle du 29 décembre 2018. « Je suis heureux de voir que les énergies solaire et éolienne deviennent moins chères mais ce sont des sources d’énergie intermittentes, et il est peu probable que nous disposions de batteries super bon marché qui nous permettraient de stocker suffisamment d’énergie pour que le soleil ne brille pas ou que le vent ne souffle pas », écrit-il. En revanche, « le nucléaire est idéal pour lutter contre le changement climatique, car il s’agit de la seule source d’énergie extensible et sans carbone disponible 24 heures sur 24. Les problèmes des réacteurs actuels, tels que le risque d’accident, peuvent être résolus grâce à l’innovation ». Disruptif.
Cordialement
Jean-Louis Butré Président
Fédération Environnement Durable
http://environnementdurable.net